Déclaration sur l’état d’urgence et ses suites
(Assemblée plénière – 15 janvier 2016 - Adoption :
unanimité, une abstention)
1.Les attentats dramatiques de 2015 ont suscité un élan de
solidarité venant du monde
entier à l’égard de la France, qui ne peut qu’en être
reconnaissante. Cependant, il est important de se souvenir que la France n’est pas, et de
loin, le seul pays victime
2.Pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen, elle se doit d’être exemplaire dans les réponses qu’elle apporte à cette crise, dès lors
qu’elle sera observée par tous ceux lui ayant manifesté son soutien et, au-delà, par les
instances internationales. Cette situation entraîne pour les autorités et les services de police
et de justice des responsabilités très lourdes, pour lesquelles ils doivent
pouvoir s'appuyer sur l'adhésion de la population. Celle-ci subira des contraintes et le coût
des effectifs et moyens indispensables. La référence aux valeurs qui fondent
l'action d'une démocratie dans une pareille situation doit être clairement perçue par tous.
Dans ces conditions, la France ne doit pas, sous l’emprise de la sidération, sacrifier ses
valeurs, au contraire, elle doit renforcer la démocratie. La CNCDH tient à rappeler combien
l’état d’urgence, et plus généralement tous les dispositifs juridiques destinés à le
pérenniser, portent intrinsèquement atteinte aux libertés et droits fondamentaux
inhérents à l’Etat de droit.
Paradoxalement, la crise renforce l’Etat en même temps
qu’elle le perturbe, le risque
étant alors que la limitation ponctuelle et provisoire de
certaines libertés aille au-delà du strict nécessaire que les circonstances exigent.
3.S’agissant de la déchéance de nationalité, la CNCDH
s’interroge sur la pertinence et
l’efficacité d’une telle sanction face à cette nouvelle
forme de terrorisme déterminée à mettre à bas les fondements mêmes du pacte républicain,
d’autant que ce n’est
d’aucune utilité en matière de prévention d’actes de
terrorisme. À cet égard, la Commission déplore que les dispositions qu’il est proposé
d’introduire dans la Constitution instaurent une double différence de traitement
entre les citoyens français selon qu’ils sont « Français de naissance » ou Français par
acquisition, et selon qu’ils sont exclusivement français ou disposent d’une autre nationalité.
Ce type de distinctions est radicalement contraire à tous les principes républicains.
Tous les Français étant également français, la Commission réitère son opposition
totale à la création de catégories au sein du peuple français. De surcroît, de
telles distinctions ne peuvent que porter atteinte à la cohésion sociale à une époque où il est
absolument nécessaire de refuser toute forme de stigmatisation et de rejet de
l’Autre. La nationalité est
4.Face à des propositions d’étendre la possibilité de
déchéance de nationalité à tous les
Français, même non bi-nationaux, la CNCDH rappelle que
l’article 25 du code civil interdit de déchoir une personne de sa nationalité, lorsque
cette sanction a pour conséquence de la rendre apatride. Cet article est une
application de l’article 15 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, qui énonce
que « tout individu a droit à
une nationalité ». Revenir sur un tel principe constituerait
un recul majeur difficilement
compatible avec le droit international et européen.
5.S’agissant de l’état d’urgence, si le recours à celui-ci
pouvait se justifier au lendemain
des attentats du 13 novembre, la CNCDH s’oppose résolument à
la pérennisation de cette situation. L’état d’exception, qui doit demeurer provisoire,
ne saurait devenir la règle : il a pour seul et unique objectif un retour rapide à la
normalité. La cessation de l’état d’urgence est, à l’évidence, une décision politique
difficile. Pour autant, celle-ci ne saurait être accompagnée d’une réforme législative, à plus
forte raison constitutionnelle, impossible à mener en période d’exception et sous l’empire
de l’émotion, aussi légitime
6.L’état d’urgence et sa mise en œuvre doivent toujours être
limités dans le temps, dans l’espace et faire l’objet d’un contrôle effectif, au regard
des principes de nécessité et de proportionnalité. Les risques de dérives s’avèrent inhérents
à l’extension des prérogatives des forces de l’ordre et à l’absence de
contrôle a priori des mesures de police administrative ordonnées. Les associations et
syndicats membres de la CNCDH font d’ailleurs état de nombreux abus et dénoncent leurs effets
collatéraux dévastateurs, qui mettent à mal le vivre ensemble. Aussi, dans sa mission de
suivi de la mise en œuvre de l’état d’urgence, la CNCDH se montrera-t-elle
particulièrement vigilante dans l’appréciation de la proportionnalité des mesures prises,
veillant spécialement à ce que ces dernières « n'entraînent pas une discrimination fondée
uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine
sociale », conformément à l’article 4-1 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques1
7.Enfin, dans le contexte actuel de préparation d’un projet
de réforme de la procédure
pénale prévoyant d’accroître les pouvoirs des forces de
l’ordre et ceux de l’autorité administrative, au détriment des garanties judiciaires, la
CNCDH se doit de réaffirmer
avec force que le consensus sur les enjeux sécuritaires de
la lutte contre le terrorisme ne doit pas nuire à un débat de qualité. La simple invocation
d’une plus grande efficacité ne peut justifier l’adoption, immédiate et sans discussion, de
dispositifs inutilement répressifs. La plus grande victoire des « ennemis des droits
de l’homme » (terroristes ou L’avis de la CNCDH sur la mise en œuvre de l’état d’urgence
sera rendu le 18 février 2016 après avoir auditionné notamment le ministre serait en effet de mettre en péril l’Etat de droit
par l’émergence et la consolidation d’un illusoire état de sécurité, qui se
légitimerait par l’adoption de mesures de plus en plus attentatoires aux droits et libertés
fondamentaux.
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